11 juillet 2006

Natixis voit le jour après 9 mois de gestation agitée

Natixis voit le jour après 9 mois de gestation agitée

Charles Milhaud et Philippe Dupont, les patrons respectifs des Caisses d’épargne et des Banques populaires, peuvent avoir le sourire, en ce début juillet. Les ultimes consultations pour la création de leur banque d’investissement commune, Natixis, viennent de s’achever. Sauf krach boursier, celle-ci pourra être mise en Bourse, comme prévu, en novembre.

Il s’agira de la plus grosse opération de marché depuis EDF – 6 milliards d’euros d’actions cédées aux investisseurs – et, sans doute, d’un préalable à un rapprochement plus poussé des deux mutualistes.

Le projet revient de loin, car il s’en est fallu de peu pour qu’il n’échoue. Scandalisée d’en avoir appris l’existence par la presse, le 9 mars, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’actionnaire de référence de la Caisse nationale des Caisses d’épargne (la holding de tête), a jusqu’au bout menacé d’y mettre son veto, pour violation du pacte d’actionnaires.

L’affrontement entre l’Ecureuil et son ex-tutelle publique a donné lieu à un psychodrame inédit dans un univers d’ordinaire policé. Il aura fallu l’appel au calme de Bercy pour que le conflit se dénoue. Un accord a été trouvé le 6 juin.

Le secret. L’histoire commence en octobre 2005, dans le secret d’un petit cabinet de banque d’affaires parisien, Bucéphale Finance. Alors que le groupe des Caisses d’épargne planche sur son entrée en Bourse, Laurent Vieillevigne, un ancien de la banque, soumet à M. Milhaud un projet alternatif : un mariage avec Natexis, la banque de marchés, déjà cotée, des Banques populaires.

Evoquée en 2003, l’idée avait été jugée prématurée. Cette fois, pour M. Milhaud, elle tombe à pic : non seulement sa banque d’affaires, la prestigieuse Lazard, l’a averti que l’entrée en Bourse de la Caisse nationale des Caisses d’épargne en révélerait les performances  » très décevantes « , mais il sait son avenir mal assuré au-delà de l’opération, n’étant pas vu comme l’homme de la modernité. Parce qu’il fait sens et permettrait de s’affranchir une fois pour toutes de la CDC, un mariage avec Natexis lui offrirait un succès d’estime opportun.

Une réunion confidentielle est organisée dans la première semaine de janvier 2006 entre M. Milhaud et M. Dupont. Les deux hommes se verront en tout deux ou trois fois, pour coucher les principes de leur union dans un document de quatre pages.

 » C’est vrai que dans une gouvernance idéale, nous aurions dû avertir la CDC ! Mais le projet lui était « imprésentable », elle l’aurait torpillé « , estime un artisan du projet.  » Voyez, dit-il, la CDC ne sort des Caisses d’épargne que parce que le marché, jugeant le projet bon, l’en fait sortir ! Etait-il imaginable que la quatrième banque d’investissement française soit contrôlée par l’Etat ? « .

Le conflit. Quand l’affaire est révélée, début mars, obligeant l’Ecureuil à réunir dans l’urgence un conseil de surveillance, la CDC clame son indignation. Selon elle, la gouvernance est bafouée et la morale avec : au mieux M. Milhaud n’a pas tenu compte de l’hospitalisation, dans un état grave, du directeur général du groupe public, Francis Mayer, pour différer son projet ; au pire, il a en profité.

 » Francis et Charles avaient noué une relation de confiance, dînaient ensemble une à deux fois par mois et discutaient de tout… Comment excuser Charles ? Ce fut, pour Francis, un coup de poignard dans le dos. Il n’était pas contre ce projet, tout aurait pu être fait dans les règles « , confie un proche de M. Mayer.

L’Ecureuil n’avait pas anticipé la violence de la réaction de son actionnaire ni celle du corps politique, qui, à droite comme à gauche, soutient la CDC, décrédibilisée dans son rôle de grand actionnaire du CAC 40. Fait rarissime, la commission des finances de l’Assemblée nationale publie, le 21 mars, un communiqué sans ambiguïté. Michel Pébereau, le président de BNP Paribas, accepte de conseiller M. Mayer dans sa défense.

Natixis voit le jour après 9 mois de gestation agitée

L’Ecureuil s’organise. Il compte sur le cabinet de communication Euro RSCG et sur Philippe Lagayette, l’ex-directeur général de la CDC, appelé à la rescousse, pour restaurer son image ternie. S’ensuit une guerre de communiqués quasi quotidiens.

Le plus important se déroule en coulisses. Par deux fois à l’hôpital, M. Mayer est appelé par le président de la République, Jacques Chirac, qui l’assure de son soutien moral. De son côté, tout en saluant un projet visant à créer un nouveau champion bancaire, le ministre des finances, Thierry Breton, encouragé par son directeur du Trésor, Xavier Musca, rappelle à l’ordre M. Milhaud sur la gouvernance. En privé, la Banque de France affirme suivre l’affaire avec  » la plus grande vigilance « .

La négociation. Puis, début avril, la CDC comprend qu’elle peut tirer parti de la situation. Et obtenir des Caisses d’épargne, pressées de conclure, de solides contreparties.

Il faut l’expérience politique de Dominique Marcel, numéro deux de la CDC, ex-conseiller de Lionel Jospin à Matignon, pour renouer le fil du dialogue. La présence à l’Ecureuil de Nicolas Mérendol, un ancien des cabinets ministériels, facilite les choses.

Hors caméras, Lazard et Merrill Lynch peaufinent les bases d’un accord. Leur travail n’est pas facile, M. Dupont n’acceptant pas que soit  » corrigée  » la valeur boursière jugée excessive de Natexis. La nécessité de mettre les deux groupes à égalité dans Natixis, avec 34 % du capital chacun, oblige à laisser de côté des actifs stratégiques, dont le Crédit foncier.

Finalement, l’accord du 6 juin satisfait tout le monde. Entre la CDC et l’Ecureuil, les liens sont rompus, après un siècle et demi d’histoire commune. Entre l’Ecureuil et les Banques populaires, l’histoire commence.

ANNE MICHEL